ICT Update s’est entretenu avec Remco Dost, chef de projet senior chez eLEAF, au sujet des activités de l’entreprise, de la façon dont elle utilise les données brutes captées depuis des satellites et de son rôle dans les services d’information ICT4AG innovants, axés vers le marché et appartenant aux utilisateurs (projet MUIIS).
eLEAF se procure des images satellitaires captées par l’importante flotte de satellites mis en orbite autour de la Terre par des organisations spatiales comme l’ASE et la NASA. Il convertit ensuite ces images satellitaires en données quantifiées. « Ce processus a pour nom PiMapping, » explique Remco Dost. « Pour faire simple, nous mesurons la quantité de radiations émises par le soleil, ainsi que le pourcentage de ce rayonnement qui a été utilisé, réfléchi dans l’espace et absorbé par les sols. Nous pouvons ainsi calculer la quantité utilisée par la végétation pour la photosynthèse. »
Ces données permettent à eLEAF de se faire une idée de l’état des cultures sur le terrain. Quel est la situation actuelle ? PiMapping exprime le rendement des terres en kilogrammes ou tonnes par hectare. « Il renseigne également sur l’état d’hydratation des cultures », explique Dost. « La culture est-elle assoiffée ? A-t-elle besoin d’eau ? » Cette technologie permet également d’observer les variations sur le terrain. « Elle vous montre par exemple qu’une culture pousse bien en bordure du champ mais pas en son centre, » poursuit-il. PiMapping permet aussi de comparer deux champs. « Comme nous disposons d’informations détaillées, nous pouvons déterminer si tel ou tel champ souffre de stress hydrique ou de tassement du sol. Il est ensuite possible de comparer ce champ au champ voisin et de se demander pourquoi l’un a un rendement supérieur à l’autre. Est-ce grâce à sa variété ? Sa gestion ?
Tel est un des aspects de la success story d’eLEAF. L’entreprise aide les agriculteurs à assurer le suivi de leurs cultures tout au long de la saison. En cas de diminution du rendement, elle fournit aux agriculteurs des conseils pour les aider à améliorer la production. Mais eLEAF combine aussi des données. « En suivant l’état d’une culture sur plusieurs années, nous pouvons prédire sa croissance potentielle dans une région donnée. Et en combinant ces données avec des informations climatiques, nous pouvons même fournir des informations sur le type de rendement à attendre, » explique Dost.
D’où une deuxième question : comment ces services sont-ils structurés et proposés de façon à pouvoir être utiles pour les agriculteurs, qui travaillent sur le terrain ? « Il existe un certain nombre d’infrastructures d’accès », explique Dost. « En effet, en soi, l’imagerie satellitaire ne fournirait aucune information utile aux agriculteurs. Nous mettons donc à leur disposition un ‘produit dérivé’, avec des mises à jour hebdomadaires sur l’état de la culture. Grâce à notre interface FieldLook, ces informations sont accessibles en ligne. Les agriculteurs peuvent s’y connecter pour consulter la représentation spatiale graphique de leurs champs et suivre ainsi leur évolution au fil du temps.
Le projet d’irrigation Gezira
eLEAF et le CTA travaillaient déjà ensemble avant le lancement du projet MUIIS. « Nous avons collaboré dans le cadre du projet mené à Gezira, au Soudan, et ce fut un réel succès, » explique Dost. Gezira est un projet d’irrigation à grande échelle, qui couvre une zone de plus d’un million d’hectares. Les agriculteurs y étaient confrontés à des problèmes de productivité. «L’irrigation se faisait par gravitation : les vannes s’ouvrent et l’eau se répand sur les champs. Nous avons donc envoyé aux bénéficiaires – qui ont des téléphones portables mais pas de smartphones – des conseils d’irrigation par SMS. Nous avons calculé l’état des cultures des agriculteurs participants et fusionné ces données avec les prévisions météorologiques. Nous avons pu ainsi déterminer à quel moment ils devaient irriguer pour éviter l’installation d’un stress hydrique. »
Lorsqu’une culture souffre de stress hydrique, les agriculteurs commencent en effet à perdre de l’argent. Les conseils d’irrigation dispensés par eLeaf aux agriculteurs ont eu un impact formidable. Dans certains cas, ils leur ont permis d’augmenter leurs rendements de 200 voire même 250 % ! Ils ont en fait reçu comme conseil d’irriguer plus, et non moins – avec à la clé deux avantages. D’une part, le problème du stress hydrique a été résolu et d’autre part, les agriculteurs ont utilisé paradoxalement moins d’eau. En effet, comme ils irriguaient davantage, ils ont pris davantage conscience des quantités d’eau qu’ils utilisaient.
Le rôle d’eLEAF dans MUIIS
Gezira a marqué le point de départ de la coopération entre le CTA et eLEAF et de l’utilisation de ce type de technologies par les petits agriculteurs. « Un grand nombre de ces services sont habituellement utilisés par des grandes entreprises, des entreprises commerciales qui disposent de fonds, » explique Dost. « Il en va bien sûr tout autrement pour les petits agriculteurs. Ils possèdent moins de terres, n’ont qu’un accès limité à l’information et habituellement, ils ne sont pas prêts à payer pour ce type de service, d’où la difficulté à le leur proposer ». C’est ici que les services combinés interviennent et c’est là toute la force du projet MUIIS. Ce type de projet exige un investissement et nécessite de se procurer les technologies. Il faut aussi mettre en place une équipe. Autant de difficultés pour les petites entreprises. L’appel à projets du Netherlands Space Office, par le biais de Geodata for Agriculture and Water (G4AW) a résolu ce problème.
Le financement proposé a en effet permis de créer un consortium de partenaires, chacun étant responsable d’un service au sein de la chaîne MUIIS, de la génération de données satellitaires brutes à l’offre d’une assistance aux agriculteurs. « Gezira avait fourni un soutien à l’irrigation, mais MUIIS, et c’est là un plus, propose une suite de services économiques mieux intégrée », explique Dost. « Les conseils d’irrigation sont très spécifiques, mais la plupart des agriculteurs pratiquent l’agriculture pluviale, et ils dépendent donc des conditions météorologiques. Ce que j’apprécie beaucoup dans le projet MUIIS, c’est qu’il prend en compte une grande variété de variables et de données météorologiques et agricoles ». Et nul doute que cet « outil » sophistiqué incitera à nouveau des jeunes à se lancer dans l’agriculture. « Pour résoudre le problème de la sécurité alimentaire au cours des 30 prochaines années, il faut je pense miser d’abord sur les petits agriculteurs. Y compris les jeunes. »
Il n’empêche que la question de l’équipement est complexe, souligne Dost. « Si les agriculteurs ougandais avaient des smartphones, nous pourrions leur offrir davantage de services et de données et eux-mêmes pourraient nous communiquer un feedback et des données utiles. La technologie existe, nous le savons. Ce que nous faisons, c’est l’adapter de façon à pouvoir diffuser les messages. eLEAF réalise actuellement une étude de faisabilité au Ghana, où le taux d’analphabétisme est problématique. Des messages vocaux sont donc utilisés. « Mais il y a 20 ans, au début de ma carrière, les téléphones portables n’existaient pas, et les e-mails encore moins. » « Nous communiquions par fax. Nous travaillons donc déjà sur les différentes fonctionnalités que les petits agriculteurs peuvent utiliser sur un téléphone portable des plus simples comme sur un smartphone dernier cri. Je ne sais pas s’ils auront tous un smartphone dans cinq ans, mais il est clair qu’un certain nombre en auront un. En outre, l’accès à cette structure de service fait qu’ils bénéficieront de services de meilleure qualité et qu’ils s’emploieront aussi à mieux faire connaître les services existants. »
Revenons à MUIIS. Lorsque ce projet d’une durée initiale de trois ans touchera à sa fin, il devra pouvoir voler de ses propres ailes. Un modèle d’abonnement existe déjà pour les agriculteurs. « Mais pour pérenniser le projet, il faut suffisamment d’abonnés. Nous devons donc développer la confiance. Il faut que la communauté des agriculteurs locaux s’approprie le système MUIIS une fois que les subventions et le projet seront terminés. Le projet n’est pas conçu pour prendre fin une fois que tout a été mis en place. Au contraire, nous voulons organiser un service durable qui continuera d’être assuré une fois le projet terminé. »
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