Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.
Leading image

Les données au service de l'agriculture avec Data4Ag : quelles retombées sur les hommes et les politiques ?

Les solutions numériques, appuyées par le CTA – dont le profilage des agriculteurs et les expériences réalisées avec des drones – ont contribué à renforcer la résilience et à accroître durablement les moyens des membres de NUCAFE.

© NUCAFE

Le projet Data4Ag du CTA a favorisé le déploiement de solutions digitales en Afrique ces dernières années. Grâce à ces innovations, les organisations paysannes ont procédé à l'enregistrement de leurs membres et leur adresser des services ciblés. Les retombées sur le terrain ont été spectaculaires, mais des questions ont malgré tout émergé, notamment à propos de la collecte et de l'utilisation des données des agriculteurs. Le sujet des politiques à mettre en œuvre pour accompagner le développement a également été soulevé.

Le projet « Des systèmes de données agricoles pour transformer l’agriculture à petite échelle » (Data4Ag) se focalise sur l'un des acteurs clés du changement et de la coopération dans le domaine de la production agricole : l'organisation paysanne (OP). Aujourd'hui, on dénombre 700 millions de petits exploitants à travers le monde, dont 300 millions dans les seuls pays ACP. Dans certains pays d'Afrique, ils contribuent jusqu'à 70 % de la production agricole totale.

Durant quatre ans, le projet a collaboré avec l’Organisation panafricaine des agriculteurs (PAFO) dans le cadre d’une enquête invitant les membres des OP du continent à faire part de leurs principaux besoins en matière de développement. Tous les répondants ont mentionné l'importance des services d'enregistrement numérique, indispensables pour améliorer leur efficacité opérationnelle grâce aux services ciblés.

Depuis 2016, Data4Ag a soutenu sept initiatives en Afrique (détaillées dans le n°89 de ICT Update) qui ont permis de profiler plus de 120 000 agriculteurs tout en validant des processus d'enregistrement fiables. Le projet a aussi fourni de précieux enseignements sur l'importance du renforcement des capacités pour le développement des OP, tout en mettant en lumière les questions politiques soulevées par l'usage des données personnelles. Ces conclusions ont par la suite été intégrées dans une formation en ligne ouverte à tous, élaborée dans le cadre du projet GODAN Action, sur le thème de la gestion des données.

L'impact de Data4Ag illustré par des exemples du terrain

Au Burundi, la CAPAD (Confédération des associations des producteurs agricoles pour le développement) a appuyé 39 coopératives dans l'enregistrement de plus de 14 000 agriculteurs (dont 55 % de femmes). Tous les membres ont ensuite reçu une carte d'identité numérique.

Les OP ont utilisé les données recueillies pour améliorer la planification des saisons 2019 et 2020, en regroupant les commandes d’engrais minéraux (1 059 t), de semences de riz (27 t) et de maïs (18 t). Ces précieuses informations ont aussi facilité l'octroi de crédits en faveur des petits exploitants. Ainsi, 2 896 membres d'OP ont pu emprunter au total plus de 100 000 €. Le profilage numérique a également permis aux coopératives de mieux organiser la phase post-récolte et la commercialisation de la production. Depuis le début de l'année 2019, les ventes collectives ont atteint un total de 4 052 t pour le riz, 132 t pour le maïs et 131 t pour les haricots.

En Ouganda, les solutions numériques appuyées par le CTA – dont le profilage des agriculteurs et les expériences réalisées avec des drones – ont contribué à renforcer la résilience et à accroître durablement les moyens de subsistance des caféiculteurs membres de l’Union nationale de l'industrie et des producteurs de café (NUCAFE, National Union of Coffee Agribusinesses and Farm Enterprises). Ces innovations ont permis de doubler la production comme la productivité, d'améliorer l’accès au financement et aux marchés haut de gamme, avec, à la clé, une augmentation de plus de 30 % des revenus. En effet, les outils numériques favorisent une gestion transparente et la traçabilité du café, et les acheteurs sont prêts à payer plus cher pour ce type de produit. NUCAFE peut désormais prouver que son café est cultivé à une certaine altitude, un gage de qualité. Ces certifications ouvrent de nouvelles opportunités : des acheteurs sud-coréens ont, par exemple, fait récemment part de leur intérêt pour le produit.

Grâce au profilage de 14 000 agriculteurs, NUCAFE a obtenu le label « Fairtrade ». Ses membres bénéficient ainsi des conditions tarifaires du commerce équitable et / ou de primes. Les ventes devraient dès lors augmenter, pour passer de 38,4 t (160 000 €) en 2018 à 210 t (875 000 €) en 2019/2020 – et ce, alors que les cours du café ont atteint leur plus bas depuis 13 ans.

Le CTA a également aidé l'Igara Tea Growers Factory (IGTF) à développer des services basés sur les données pour ses membres. L'installation de 40 balances numériques a, par exemple, permis de payer les agriculteurs directement, dès la remise de leur production. Par ailleurs, les rapports de livraison de plus de 4 000 producteurs sont stockés dans les nouveaux systèmes. Des données précises sur la localisation et la taille des exploitations sont désormais disponibles. Elles sont utilisées pour élaborer des services de vulgarisation ciblés qui améliorent sensiblement la qualité de la production. La preuve ? L'IGTF obtient dorénavant des prix plus élevés que ses concurrents sur les marchés aux enchères du thé. Enfin, la jeunesse locale est associée au projet. Plus de 40 jeunes utilisent une application mobile afin d'enregistrer les livraisons des membres pendant que 70 autres ont pour mission de valider les données pour la plateforme de profilage à l'aide de tablettes GPS.

Consultations autour de la recherche

En 2018, l'équipe de Data4Ag et des chercheurs de la Wageningen University and Research (WUR) ont lancé une discussion dans la rubrique e-Agriculture du site de la FAO. Elle a donné l'occasion de confronter les points de vue et de s'interroger à propos des services agricoles fondés sur les données (enregistrement des agriculteurs, vulgarisation, accès au crédit et aux marchés), tant sous l’angle de la recherche que sous celui de leur application pratique.

La collecte des données issues du processus d'enregistrement s'est également retrouvée au cœur des débats. Les chercheurs de la WUR, les partenaires du projet et des entreprises extérieures impliquées dans les services liés à la donnée ont identifié plusieurs questions et défis prioritaires. Différentes publications font part de ces réflexions :

  • « Le producteur primaire n’est pas forcément le chef de famille » (Kelly et al., 2016) ;
  • « Au Malawi, les politiques de développement privilégient largement les hommes, les agriculteurs par excellence. Elles négligent dès lors les agricultrices et ne tiennent pas compte de la complexité des problématiques de genre » (Chinyamunyamu, 2014) ;
  • « Les agriculteurs qui partagent une même carte SIM ne peuvent pas utiliser leur numéro de téléphone portable comme identifiant unique » (CGAP, 2014) ;
  • « Les coopératives doivent utiliser de manière pragmatique le principe d’affiliation ouverte afin d’éviter l’inclusion d'acteurs opportunistes et le risque de se retrouver avec une production qui dépasse la demande du marché » (Francesconi & Wouterse, 2017).

La question du droit de regard des agriculteurs sur leurs données a tenu une place importante dans la discussion. Data4Ag a donc pris soin de veiller à accompagner efficacement les OP dans le contrôle et l'usage de ces informations sensibles.

Réflexions sur les politiques à mettre en œuvre

Le CTA, en collaboration avec le Forum mondial sur la recherche et l'innovation agricoles (GFAR, Global Forum on Agricultural Research and innovation) et GODAN, a réfléchi au meilleur moyen d'impliquer les agriculteurs sur la question des données privées. Malgré l’émergence d’une législation sur la protection des données, la situation manque encore de clarté en ce qui concerne les services de données. Pour le moment, les pays et régions s’emploient en effet surtout à élaborer des codes de conduite régissant les échanges de données.

Une série d'ateliers, organisés par le CTA et l'Association for Technology and Structures in Agriculture, a mis en lumière la nécessité de créer des modules afin de fournir aux OP un code de conduite sur la confidentialité des données.

Les points suivants ont également été évoqués au cours des ateliers :

  • la nécessité de mettre en place des « centres de confiance » (des unités responsables de la gestion et du contrôle des données), des mécanismes de responsabilité sociale (avec des labels comme Fairtrade) et des modèles d'affaires permettant un partage équitable des revenus liés à l’utilisation des données ;
  • le rôle clé des associations agricoles et la création de coopératives de données pour piloter l’échange de données et la négociation collective des droits dans ce domaine ;
  • le besoin d'élaborer des politiques nationales et internationales, des accords internationaux et des traités qui garantissent l’échange équitable de données et remédient aux déséquilibres en matière de propriété des données ;
  • l'importance d’évaluer la bonne application des lois existantes sur les données (respect de la vie privée, données commerciales, protection des données) et d’éviter la création de nouvelles lois spécifiques dont l’application ne pourra être vérifiée, en privilégiant plutôt des codes volontaires de bonne conduite pour l’échange de données.

Le projet Data4Ag a fait émerger plusieurs problématiques de nature politique. Elles ont été reprises par les OP et incorporées dans des plans stratégiques de numérisation, comme ceux de la Task force pour l'Afrique rurale et du futur Conseil numérique de la FAO. Trois réunions ministérielles doivent désormais avoir lieu : l'objectif est d'aboutir à des engagements formels pour aider les agriculteurs à mieux exploiter les données. A ce jour, douze pays d’Afrique se sont déjà engagés à mettre leurs données à disposition des agriculteurs.

Lire la suite

par

Pendant 20 ans, ICT Update a suivi et rendu compte de la révolution engendrée par la digitalisation de l'agriculture. Mais comment définir ce concept ? Selon le "Rapport sur la numérisation de l'agriculture africaine, 2018-2019", il désigne « l'utilisation de technologies, d’innovations et de données numériques pour transformer les modèles d'affaires et les pratiques au long de la chaîne de valeur agricole ». Ce numéro, qui sera malheureusement le dernier, met en lumière les dernières initiatives du CTA en la matière, ainsi que leur impact.

par

Comment qualifier, quantifier et décrypter l'impact d'un projet ? Le CTA s'est posé la question et a apporté une réponse en lançant une initiative de gestion des données relatives aux résultats des programmes. Objectif : s'assurer que les projets lancés répondent bien aux missions fixées par le centre et améliorer leur évaluation afin d'en tirer un maximum d'enseignements.

par

Le projet Data4Ag du CTA a favorisé le déploiement de solutions digitales en Afrique ces dernières années. Grâce à ces innovations, les organisations paysannes ont procédé à l'enregistrement de leurs membres et leur adresser des services ciblés. Les retombées sur le terrain ont été spectaculaires, mais des questions ont malgré tout émergé, notamment à propos de la collecte et de l'utilisation des données des agriculteurs. Le sujet des politiques à mettre en œuvre pour accompagner le développement a également été soulevé.

par

Le numérique contribue à transformer progressivement l'agriculture africaine en secteur à la pointe de la technologie. Grâce à l'apport de la donnée, les services se modernisent et les systèmes d'aide à la décision gagnent en efficacité. Les drones ou UAS (Unmanned Aerial System, Système aérien sans humain à bord) font partie intégrante de cette révolution.

par et

En Ouganda, le CTA travaille avec l'usine de thé d'Igara (IGTF) afin d'établir le profil numérique de ses agriculteurs affiliés et d'améliorer leurs pratiques en matière de gestion des données. Cet article détaille les impacts de ces initiatives, que ce soit pour les agriculteurs à titre individuel ou à l'échelle des coopératives. Les bénéfices liés à la collecte de données, et la manière dont elles pourraient être systématiquement intégrées dans les systèmes de suivi et d’évaluation des organisations paysannes, seront également au sommaire.

par et

Le changement climatique représente l'un des grands enjeux de notre siècle. Le défi est immense mais des solutions existent. Dans cet article, le Dr Oluyede Ajayi et Mariam Kadzamira détaillent comment le CTA a couplé l'assurance basée sur un indice climatique à d'autres services afin de renforcer la résilience de 140 000 familles de petits exploitants en Afrique australe.

par

Il existe aujourd'hui des solutions regroupant plusieurs services numériques capables de transformer l'agriculture en profondeur. De séduisantes perspectives s'ouvrent aux petits exploitants, mais attention cependant. Ces nouvelles « super plateformes » sont en effet complexes et leurs impacts doivent être soigneusement évalués avant d'envisager une diffusion à grande échelle en Afrique.

Liens externes

Derniers numéros

ICT Update N° 92

Le pouvoir de la digitalisation

ICT Update N° 91

L’agriculture ACP de nouvelle génération - Les innovations qui marchent

ICT Update N° 90

Les femmes et la digitalisation de l’agriculture

ICT Update N° 89

Data4Ag - De nouvelles opportunités pour les petits exploitants

ICT Update N° 88

Libérer le potentiel de la blockchain pour l’agriculture

Tous les magazines