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Ben Addom : « La coopération entre les différents acteurs sera la clé »

Benjamin Addom, Chef d'équipe TIC4Ag, explique le rôle clé que les TIC jouent dans la nouvelle stratégie du Centre technique de coopération agricole et rurale

ICT Update s'est entretenu avec Ben Addom, chef de l'équipe TIC pour l'agriculture au CTA, et l'un des auteurs du "Rapport sur la numérisation de l'agriculture africaine, 2018-2019". Il revient sur les principales recommandations du rapport et évoque l'avenir de l'agriculture en Afrique.

Le Rapport sur la numérisation de l'agriculture africaine 2018-2019 (The Digitalisation of African Agriculture Report, 2018-2019) précise que 30 millions de petits exploitants sont abonnés à des applications numériques, soit 10 % du marché. Parmi ceux-ci, 25 % seulement sont des femmes, et 75 % appartiennent à la classe d'âge des « jeunes ». Pouvez-vous nous éclairer sur les principaux enseignements de cette étude et la façon dont D4Ag peut en tirer profit pour stimuler le potentiel du secteur agricole africain ?

Pour ce rapport, nous avons adopté une approche différente : cette fois, nous avons choisi de ne pas nous focaliser sur l'élaboration de solutions individuelles au moyen d’études de cas comme nous le faisions auparavant. Au contraire, nous avons préféré compiler des « cas d’usage » qui pourront orienter les futures recherches sur le secteur. D’une manière générale, les thématiques privilégiées sont celles qui explorent les méthodes pour améliorer la productivité, l'accès au financement et les liens avec le marché.

Tout d'abord, sur le chapitre de l'amélioration de la productivité, je me réjouis de constater que la plupart des projets abandonnent la communication traditionnelle, basée sur les SMS, pour interagir avec les agriculteurs. Les nouvelles approches reposant sur la géolocalisation, qui permettent de situer les exploitations grâce aux données de télédétection fournies par des satellites ou des drones, se révèlent bien plus efficaces.

Il reste toutefois des défis à relever, à l'image des modèles d'affaires qui ne sont pas assez solides. Pourquoi ? Parce que les services ne misent pas encore suffisamment sur la personnalisation. Un agriculteur qui reçoit un message à propos d'un nuisible ou d'une maladie ne le concernant pas se désabonnera probablement. C'est pourquoi les messages ciblés représentent aujourd'hui un vecteur puissant de fidélisation. Les données en temps réel provenant des satellites et des drones vont jouer un rôle essentiel dans la démocratisation de l'agriculture de précision. Ces informations peuvent, par exemple, aider les agriculteurs à s'adapter au changement climatique en leur indiquant quelles sont les semences les mieux adaptées en fonction de la saison.

Ensuite, sur la question de l'accès au financement, prenons un exemple concret. Imaginons que vous soyez un petit agriculteur au Mali ou au Sénégal, et que vous receviez ces recommandations. Si vous ne possédez pas les fonds pour acheter les semences ou les engrais conseillés, cela ne sert à rien. Heureusement, il existe aujourd'hui de plus en plus de solutions, basées sur les données agricoles, pour promouvoir l'accès au financement et au crédit. Les banques ont besoin de prêter de l'argent aux agriculteurs, mais le problème est qu'elles ne connaissent pas les agriculteurs ! D'où l'importance d'établir leurs profils numériques afin de recueillir des données précises sur leurs cultures et leurs exploitations qui serviront à déterminer des notes de solvabilité alternatives basées sur un historique de deux ou trois saisons. Les agriculteurs deviennent ainsi « bancables » et les banques, rassurées, seront davantage disposées à leur accorder les prêts nécessaires à l'achat d'intrants.

En plus de pouvoir solliciter des prêts auprès des banques à l'aide de leurs données (voir les modèles détaillés au chapitre 2 du rapport), les agriculteurs ont désormais accès aux mécanismes de financement participatif pour mutualiser leurs ressources. Le rapport précise en effet que « les crédits groupés, les services de conseil et les liens avec le marché peuvent augmenter les revenus de plus de 57 % et les rendements de plus de 168 % ».

Une question demeure toutefois : les agriculteurs font-ils confiance aux banques ? Si la réponse est non, les plateformes et projets endossent le rôle d’intermédiaire en informant les exploitants sur les institutions financières et le soutien qu'elles peuvent leur apporter. Cette médiation débouchera sur une prise de conscience forcément bénéfique pour les relations entre banques et agriculteurs.

Les atouts et le potentiel de D4Ag sont remarquables : le nombre de solutions digitales a explosé, passant de 41 en 2012 à 390 en 2019, et 60 % d'entre elles intégreront bientôt des technologies de pointe (big data, blockchain, IA, IdO). Pourtant, la facture du continent africain pour les importations s'élève toujours à 30 millions €. N'y a-t-il pas dès lors un risque de sur et de sous-développement pour D4Ag ?

Nos travaux de recherche et notre expérience dans les pays ACP nous font dire qu’il faudra plusieurs années avant que les petits exploitants utilisent directement certains des systèmes présentés dans le rapport. C'est pourquoi nous avons besoin de réseaux d'agents. Aujourd'hui, nous estimons que les agriculteurs des pays ACP ont encore besoin de soutien pour manipuler les technologies de pointe. Nos efforts pour vulgariser la culture numérique, non seulement auprès des agriculteurs, mais aussi des intermédiaires, en particulier les jeunes, sont essentiels. Les jeunes ont l'opportunité de devenir des agents commerciaux amenés à faire le lien entre les grandes entreprises technologiques et les petits exploitants agricoles. Ce rôle ne doit pas être confié aux agents de vulgarisation traditionnels mais plutôt à des intermédiaires indépendants qui maîtrisent le numérique et qui touchent une commission en vendant des produits et en encodant les données dans les systèmes.

L'avènement progressif de l'agriculture semi-commerciale offre plus de possibilités aux agriculteurs pour traiter directement avec les entreprises technologiques. Mais là encore, la capacité à surmonter la barrière de la langue sera déterminante dans la mise en place d'une relation pérenne entre les deux partis.

J'ai assisté, en juillet 2019, à la Conférence européenne sur l'agriculture de précision, à Montpellier, en France. Les agriculteurs européens sont censés savoir comment utiliser la technologie et traiter directement avec les fournisseurs. Néanmoins, quand j'ai décrit la situation en Afrique, ils m'ont répondu qu'il n'y avait aucune différence ! Après tout, les agriculteurs européens d’un certain âge, à la tête de grandes exploitations, ne sont pas vraiment intéressés par certains outils de l’agriculture de précision. En revanche, la nouvelle génération se montre plus réceptive à ces nouvelles technologies. Mais les jeunes ne souhaitent pas forcément reprendre l’exploitation de leurs parents. Il s'agit d'une question générationnelle qui doit être appréciée à la lumière de nombreux facteurs.

Quelles sont vos principales recommandations à destination des gouvernements, du secteur privé et des donateurs en particulier ?

Le rapport présente des recommandations détaillées, mais permettez-moi d’abord de faire un bref état des lieux. Nous devons reconnaître le rôle essentiel joué par les donateurs. Grâce à leurs actions (hackatons, concours, conférences, études pilotes, etc.), ils ont jeté les bases de la numérisation du secteur. Si nous remontons à la source, nous constatons que ces activités ont été financées par des donateurs et des fondations. Les gouvernements ont également apporté leur pierre à l'édifice en favorisant la mise en place d'environnements favorables par leurs orientations stratégiques et leurs décisions politiques. Mais à présent, c'est au secteur privé de prendre le relais pour diffuser ces solutions à grande échelle. Il faut trouver les bonnes synergies entre les différents acteurs – donateurs, gouvernements et secteur privé – afin qu'ils se renforcement mutuellement. En effet, les gouvernements ne devraient pas travailler en vase clos. De même, les donateurs doivent abandonner cette logique d'investissement dans des programmes quinquennaux destinés uniquement à mettre en avant des chiffres. Un tel environnement fera fuir le secteur privé. En résumé, nos recommandations tiennent en une phrase : la coopération entre les parties prenantes sera la clé.

Nous devons prendre en compte les démonstrations de faisabilité ; les cas testés au fil des ans auront besoin d'être développés pour soutenir la mise à l’échelle des solutions et les investissements dans les nouvelles technologies. C'est précisément là que le secteur privé intervient. Il devient par conséquent nécessaire de réduire les risques liés à l'investissement et d'offrir un maximum d'opportunités d'affaires. Le rapport détaille une série de recommandations spécifiques. Si elles sont toutes suivies, un impact peut être espéré. Cette idée est d'ailleurs résumée dans notre dernière recommandation évoquant une alliance de tous les acteurs au sein de D4Ag, y compris les utilisateurs et les organisations paysannes. Les rôles de chaque partie prenante seraient clairement définis afin d'éviter la duplication des efforts et la dispersion des investissements.

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Le CTA se donne pour mission de faire avancer la sécurité alimentaire, la résilience et la croissance économique inclusive dans les pays ACP par le biais d’innovations dans l’agriculture durable. Tout au long de ces 10 dernières années, le CTA a joué un rôle dans l’identification des innovations technologiques de pointe, dans la promotion de la culture et des compétences numériques ainsi que dans la formation et le renforcement des capacités des acteurs du secteur agricole à innover et utiliser des solutions d’agriculture numérique.

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