Le programme Genre, agriculture et développement rural dans la société de l'information (GenARDIS) a été lancé en 2002 dans le but de soutenir des projets utilisant les technologies de l'information et de la communication (TIC) pour renforcer les connaissances et la productivité des agriculteurs. Quel est le bilan du programme ? A-t-il permis de réduire les inégalités de genre, mais aussi entre ruralité et urbanité ? Est-il pertinent de redéployer cette initiative aujourd'hui ?
Cet article nous renvoie 17 ans en arrière, au moment de la 5e réunion de l'Observatoire des TIC, organisée par le CTA en septembre 2002. Cette manifestation autour du thème « Genre et agriculture dans la société de l’information » a rassemblé des experts des pays ACP, mais aussi des membres du CRDI (Centre de recherche pour le développement international, au Canada), et des personnes travaillant pour deux organisations internationales basées aux Pays-Bas : IICD (Institut international pour la communication et le développement) et ISNAR (Service international pour la recherche agricole nationale). Les participants ont échangé afin de trouver des solutions pour régler les inégalités hommes-femmes dans l'agriculture et favoriser le développement rural. Il est notamment apparu que plus d'actions directes en faveur des femmes étaient nécessaires : formations sur les technologies de l'information et de la communication (TIC), inclusion dans les processus décisionnels, diffusion de contenu pertinent et expérimentations dans les communautés rurales.
Les TIC représentent un levier puissant, capable de servir des objectifs interdépendants (réduction de la pauvreté et des inégalités hommes-femmes, émancipation des femmes, etc.). Comment ? En favorisant l'accès à l'information, ces technologies contribuent à mobiliser et à créer des connaissances, essentielles afin de renforcer les capacités humaines et financières, la sécurité alimentaire et le bien-être. Toutefois, le développement des TIC se concentre souvent dans les centres urbains. En conséquence, une grande partie de la population rurale (essentiellement des femmes et des jeunes) est exclue et ne peut profiter de l'immense potentiel de la société de l'information. C'est de ce constat, et de la volonté de changer les choses, qu'est né le projet GenARDIS.
Des actions multiples et des résultats concrets
Entre 2002 et 2010, GenARDIS a alloué 200 000 €, sous forme de petites subventions de 2 000 à 7 000 €, pour soutenir 21 projets variés (Odame, 2010). En raison des sommes modestes, les attentes restaient mesurées. Il était malgré tout évident que ces financements allaient faire une vraie différence pour ces groupes désireux d'élaborer des programmations radiophoniques, d'acquérir des ordinateurs et des appareils portables, de couvrir les coûts de téléphonie mobile, d'organiser des formations pratiques ou de lancer une start-up dans l'agroalimentaire.
Les projets bénéficiaires visaient à promouvoir l'usage des TIC, traditionnelles comme modernes, en les mobilisant pour améliorer les connaissances et l’information au profit des agriculteurs, stimuler la productivité et augmenter les revenus des petits exploitants, entre autres. En Ouganda, le Toro Development Network (TORODev) a par exemple utilisé plusieurs canaux de diffusion, en simultané, pour toucher un maximum de personnes. Les agriculteurs ont ainsi été exposés à des informations agricoles récentes, des campagnes sur le financement et le crédit ou encore à des émissions de radio hebdomadaires dans deux districts de l'ouest du pays.
Bien que ne bénéficiant d'aucune subvention, le Réseau des femmes ougandaises (WOUGNET, Women of Uganda Network) est un partenaire de la première heure du projet GenARDIS. WOUGNET s'est employé à soutenir les agricultrices dans l'accès à l'information et à la connaissance à la faveur d'une approche multicanale basée sur des émissions radiophoniques, des documentaires audio, des plateformes en ligne, des applications mobiles ou des échanges en face à face. Des partenariats noués avec des radios communautaires ont par ailleurs permis la diffusion de programmes hebdomadaires sur l'agriculture en langue locale. Enfin, le réseau a créé un centre polyvalent de l'information afin d'avoir un lieu physique capable de servir ses objectifs.
Une étude d'impact menée par le CTA en 2010, utilisant l'analyse de voies d’impact centrée sur les capacités – un cadre qui a recours à des approches participatives pour évaluer l’impact –, a montré que la collaboration entre WOUGNET et le projet GenARDIS a généré des retombées positives pour les groupes bénéficiaires du nord de l’Ouganda dans les domaines social, économique, financier et politique.
Aujourd'hui encore, TORODev et WOUGNET poursuivent leur travail sur les questions de genre comme leurs initiatives ICT4Ag. Au fil des ans, WOUGNET a renforcé sa coopération avec plusieurs acteurs (la faculté des sciences agricoles et environnementales de l’université de Makerere, le College of Computing and Information Sciences, l’Organisation nationale de recherche agricole ou le Forum universitaire régional pour le renforcement des capacités en agriculture) pour mettre en place des projets de recherche communautaire à des fins pratiques. Le but est ici d'inciter les petits agriculteurs à essayer, et surtout adopter, les technologies numériques.
TIC et inégalités de genre
Il est essentiel que la base de connaissance et les outils numériques utilisés pour l'agriculture et au sein des communautés rurales soient attentifs à la question de genre. Les conclusions du récent Rapport sur la numérisation de l'agriculture africaine, 2018-2019, du CTA et de Dalberg, vont dans ce sens. Elles confirment que, malgré les efforts de quelques entreprises et organismes donateurs, peu de progrès ont été réalisés sur la question de l'égalité des genres dans le secteur de l'agriculture numérique : « En Afrique subsaharienne, entre 40 et 50 % des petits agriculteurs sont des femmes, mais celles-ci ne représentent que 25 % des inscrits. Les entreprises qui ciblent explicitement les agricultrices et font de ce segment un indicateur important de réussite tendent à afficher de meilleurs résultats. Toutefois, les données suggèrent que les entreprises n’accordent pas assez d’attention aux différences entre les sexes dans la conception et la commercialisation de leurs produits et leurs campagnes de promotion auprès de l’utilisateur. »
Lors de la réunion de l'Observatoire de 2002, Nancy Hafkin, experte dans le domaine des TIC et les questions de genre, a donné une définition des préjugés sexistes existant dans les TIC, précisant que les femmes en sont certainement victimes à tous les niveaux – local, national et international. Premièrement, elle note que les femmes sont sous-représentées au sein des disciplines scientifiques et technologiques, et que peu occupent des postes à responsabilité dans les organisations agricoles, la recherche et l'élaboration des politiques. Deuxièmement, elle relève qu'il existe des préjugés considérant que les TIC et les outils numériques sophistiqués utilisés dans l'agriculture ne sont « pas pour les femmes ». Ce discours a tout du moins du mal à admettre que certains groupes sociaux souffrent de manière disproportionnée d’un manque de compétences numériques en raison d’un accès limité aux ressources et au renforcement des capacités. Enfin, Nancy Hakfin explique que de nombreux facteurs culturels contribuent à limiter l'accès des femmes aux espaces d'information, y compris les télécentres, très populaires à l'époque. Les espaces d'information virtuels qui se sont développés dans l'agriculture numérique, comme l'internet des objets, ne sont guère différents. D'ailleurs, le monde digital et mobile, bien qu'ayant ouvert la voie à de nouveaux canaux de communication (vidéo, audio, etc.), n'est pas à l'abri des constructions sociales dominantes et des préjugés culturels concernant les femmes et les jeunes. Il est dès lors nécessaire de transformer l'agriculture numérique en un espace où tous les utilisateurs / producteurs de données et d'information se sentent respectés pour qui ils sont, ce qu'ils savent et ce qu'ils font.
Une numérisation de l'agriculture inclusive
Afin que les zones rurales bénéficient des TIC, plusieurs impératifs doivent être pris en compte :
- le déploiement d'infrastructures de réseau au-delà des zones urbaines ;
- la réduction du coût des connexions haut débit pour favoriser un accès abordable à internet ;
- la formation et le renforcement des capacités des communautés locales sur les avantages des TIC ;
- la création de contenus en langues locales.
Il est important de souligner à quel point l'implication des gouvernements et les changements dans le paysage politique influent sur l’accès aux TIC pour le développement rural.
La question que l'on peut se poser aujourd'hui est la suivante : y a-t-il besoin d'un « GenARDIS II » et, si oui, qui devrait-on cibler ? Quant à la méthodologie développée il y a 20 ans, serait-elle suffisamment solide pour répondre aux défis actuels ? Peut-être, si l'on n'oublie pas que tout projet doit débuter avec les utilisateurs de TIC. Si seulement 25 % des utilisateurs enregistrés de solutions agricoles numériques sont des femmes, ce n’est pas sans raison. A partir du moment où les TIC deviendront accessibles, abordables et faciles d'usage, les femmes gagneront en compétences et pourront innover, et ce malgré la persistance de la fracture entre hommes et femmes. (Tandon, 2012)
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