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Vulgariser l'agriculture en Afrique : la radio n'a pas dit son dernier mot !

FRI staff test the Uliza platform – a suite of tools aimed to make radio more interactive than ever and connect farmers with broadcasters

© Simon Scott/FRI

Charles Wandera est un agriculteur du district de Masindi, en Ouganda. Dernièrement, la région a été frappée par une invasion de chenilles légionnaires d'automne. Les producteurs se sont trouvés démunis face à ce ravageur arrivé récemment en Afrique. A la recherche d'une solution pour protéger ses cultures, M. Wandera s'est tourné vers la radio. Il a obtenu de précieux conseils en écoutant une émission diffusée sur Radio Kintara.

Radio Kintara bénéficie du soutien de Farm Radio International (FRI), une ONG canadienne qui collabore avec des diffuseurs locaux afin d'élaborer des programmes à destination des petits exploitants et de leurs communautés. Avec l'appui d'un financement du CABI (Centre for Agriculture Bioscience International), FRI a formé le personnel de Radio Kintara afin qu'il puisse produire et diffuser une émission sur le thème de la chenille légionnaire d'automne. « Au début, nous ne savions pas du tout comment lutter contre cet insecte. Mais tout a changé grâce à Radio Kintara. Désormais, nous recevons des informations et conseils tous les lundis et vendredis », détaille Charles Wandera. Le programme explique notamment comment reconnaître le ravageur et le repérer dans les champs ainsi que les meilleures solutions pour l'éradiquer.

Pour mener à bien ce projet, FRI a employé une méthode ayant déjà fait ses preuves. L'ONG a d'abord sondé les exploitants afin de connaître leurs stations de radio favorites tout en déterminant leurs besoins précis en matière d'information. Ensuite, une étroite collaboration avec des agriculteurs expérimentés, des spécialistes du sujet et des professionnels de la radio a permis de concevoir, à l'aide d'outils numériques, la programmation la plus adaptée possible.

Cette émission n'était pas une première pour FRI dans une région qu'elle connaît bien. En effet, l'ONG internationale avait déjà supervisé des programmes sur l'agriculture, la nutrition, les services climatologiques, les questions de genre ou la santé mentale en Afrique subsaharienne.

FRI a commencé son activité il y a maintenant 40 ans, en 1979. Au départ, l'organisation véhiculait l'information sous forme de scripts radiophoniques ou de cassettes envoyés aux diffuseurs dans les pays en développement. Avec les progrès technologiques, le travail de la structure a considérablement évolué. Ce qui n'a toutefois pas changé, c'est sa volonté d'aider les agriculteurs et les communautés en apportant un soutien aux radios des zones rurales.

Multiplication et diversification des stations, développement de l'usage des langues locales, interactivité accrue avec les auditeurs : le paysage de la radio s'est, lui aussi, beaucoup transformé au fil des années. FRI s'est adapté à ces changements en saisissant notamment le potentiel offert par les nouvelles technologies de l'information et de la communication (TIC) et les outils numériques. Contrairement aux idées reçues, la révolution digitale n'a pas sonné le glas de la radio. Au contraire, ces innovations ont ouvert de nouvelles perspectives passionnantes, à la fois pour les producteurs et pour les auditeurs. Le numérique ne fait ainsi que renforcer le rôle de la radio comme vecteur de conseil et de vulgarisation.

En 2007, grâce à la création de l’African Farm Radio Research Initiative (AFRRI), financée par la Fondation Bill & Melinda Gates, FRI a eu l'opportunité de mesurer le pouvoir de la radio. L'ONG a lancé un projet inédit, dans cinq pays. Le but ? Rassembler des preuves concluantes quant à la capacité des campagnes radiophoniques participatives à sensibiliser les petits agriculteurs et à les aider à mettre en place des changements efficaces dans leurs exploitations. Le rapport de l'étude, publié en 2011, précise que les agriculteurs susceptibles d'écouter les émissions sont nombreux (66 % d'auditeurs potentiels dans les zones couvertes par un signal) et qu'ils mettent en pratique les conseils entendus sur les ondes (21 % des auditeurs en moyenne). Ces résultats parlent d'eux-mêmes. Partant de ce constat, FRI s'est aussi lancé dans la promotion de l'outil radiophonique, envisagé comme un outil de communication à l'efficacité prouvée, un moyen de partager les bonnes pratiques et une solution pour servir des objectifs de développement à grande échelle – en touchant parfois plusieurs centaines de milliers d'auditeurs situés dans des zones rurales simultanément.

Les résultats de l'étude n'ont depuis pas été démentis. Grâce à l'approche multipartite du projet, les partenaires de développement peuvent utiliser la radio interactive afin de diffuser plus largement des pratiques améliorées. Le bilan est flatteur : depuis 2007, les 232 stations de radio ayant travaillé en partenariat direct avec FRI ont été écoutées par environ 141 millions d'Africains, dont 46 millions d'adultes habitant les zones rurales de 11 pays. Rien qu'en 2017, 20 millions d'adultes auraient été exposés aux émissions diffusées dans le cadre de 30 projets menés par FRI, 4 millions d'entre eux ayant en outre pu améliorer leurs pratiques par ce biais. Ces chiffres suffisent à démontrer que la radio n'a rien perdu de son potentiel et demeure un outil à la portée remarquable en Afrique subsaharienne.

La radio, toujours d'actualité ?

La bonne information amène les bonnes décisions pour les petits producteurs. L'accès à l'information et à la libre parole représente un moyen d'émancipation, en particulier pour des citoyens géographiquement, économiquement ou socialement défavorisés. Mais si la liberté d'information et d'expression est un droit de l'homme fondamental, la majorité des petits exploitants ruraux n'ont toujours pas accès à Internet, à la télévision ou aux journaux. D'autre part, les services de vulgarisation sur le terrain se révèlent largement insuffisants : les agriculteurs, en particulier les femmes et les habitants des zones les plus reculées, demeurent ainsi privés des informations nécessaires à l'amélioration de leurs récoltes. Le renforcement de l'accès aux technologies mobiles et à Internet ouvre des opportunités, mais de nombreuses barrières subsistent en matière de connectivité, de coûts, d'électricité, d'accès, de langue et de connaissances techniques.

A l'inverse, la radio est bien implantée dans les foyers, la culture et la vie quotidienne des gens. Elle est réactive à l'actualité et aux sujets qui intéressent particulièrement les agriculteurs, en plus d'être disponible en langue locale. Pouvant être écoutée sur les téléphones mobiles ou sur Internet, compatible avec de nombreux outils numériques, la radio est aujourd'hui plus séduisante que jamais. Les auditeurs peuvent notamment accéder aux informations hors-ligne – en format écrit ou audio –, participer aux émissions en direct, entendre leurs questions à l'antenne ou être mis facilement en relation avec des fournisseurs de services. Ces interactions multiples propulsent les agriculteurs au rang d'acteurs à part entière des émissions. Les programmes répondent par conséquent mieux à leurs besoins et à ceux de leurs communautés, et ils seront logiquement plus enclins à les écouter.

Enfin, la radio est nettement moins onéreuse que les expériences de vulgarisation de terrain. FRI estime que le coût d'une campagne radiophonique participative est d'environ 1 $ par agriculteur. Là où les agences de vulgarisation classiques manquent souvent de personnel, la radio peut en outre atteindre des publics ruraux et dispersés afin de leurs transmettre de précieuses connaissances agricoles qui leur permettront de nouer des connexions avec les marchés.

« Uliza » : demandez le programme !

Dans la continuité du projet mené avec l'AFRRI, FRI cherche toujours les moyens de combiner efficacement la radio, le mobile et Internet afin de fournir des services rentables et adaptés aux agriculteurs et agricultrices. De cette réflexion est née Uliza (qui signifie « demandez » en swahili), une solution innovante visant à améliorer l'engagement des audiences tout en assurant la qualité et le suivi des projets.

La plateforme en ligne permet aux radios participantes de toucher des centaines, voire des milliers d'auditeurs n'ayant pas accès à Internet. Grâce à leur téléphone, ils peuvent avoir accès aux programmes avant, pendant et après la diffusion en direct. Ils ont ainsi l'opportunité de voter, de s'abonner à des alertes, d'accéder à du contenu supplémentaire ou d'obtenir des réponses à leurs questions. Il leur est également possible de laisser des commentaires et suggestions qui serviront à optimiser la programmation. Par ailleurs, les contenus peuvent être proposés aux auditeurs dans leur propre langue et un service de rappel automatique leur permet de communiquer gratuitement avec les professionnels.

Les diffuseurs chargent chaque semaine des épisodes sur Uliza. Ensuite, le personnel de FRI, aidé par des spécialistes du sujet en question, écoutent les émissions. Ils fournissent enfin leur avis aux équipes des stations qui utilisent ces recommandations pour améliorer la qualité de leurs contenus.

Un impact avéré

Mesurer l'impact de la radio sur le public est une tâche complexe. En effet, si certaines stations bénéficient d'une couverture nationale, d'autres n'ont pas ce luxe, et les zones reculées ne sont parfois couvertes par aucun signal. Néanmoins, l'information radiophonique n'est pas forcément inaccessible : elle peut aussi circuler grâce à la parole des auditeurs et au bouche-à-oreille. Si l'évaluation de l'impact radiophonique s'avère donc difficile, des indicateurs sont malgré tout à disposition. Les audiences ou des changements avérés au niveau des connaissances, des comportements et des pratiques témoignent par exemple de l'efficacité de ce média.

FRI utilise une cartographie des transmetteurs FM, des enquêtes quantitatives menées auprès des ménages et des techniques qualitatives afin de mesurer l'impact de ses interventions radiophoniques spécifiques. L'ONG a tiré de précieux enseignements ces dernières années. Les résultats ont mis en lumière le fait que la radio interactive, lorsqu'elle est soigneusement conçue avec les diffuseurs, appuyée par les experts et suivie par le public, améliore concrètement le niveau de connaissances. Elle devient alors un puissant outil pour promouvoir l'utilisation et la mise à l'échelle des techniques agricoles modernes dans les petites exploitations. Un exemple ? En 2016, la station ougandaise Voice of Lango a utilisé la radio interactive pour mettre en avant la restauration des paysages forestiers dans l'Est du pays auprès de 270 000 auditeurs. A l'heure du bilan, 83 % d'entre eux ont essayé les pratiques résilientes après avoir écouté ces programmes, et la radio a été citée comme le facteur le plus déterminant dans l'adoption de ces nouvelles méthodes.

Les femmes ont voix au chapitre

Au-delà de la diffusion des connaissances agricoles, la radio possède un autre intérêt majeur pour les femmes : elle leur offre un espace pour faire entendre leur voix, contribuant ainsi à renforcer leur confiance et leur engagement civique. Dans cette optique, FRI a imaginé l'approche Her Voice on Air à l'aide d'un financement du Fonds international de développement agricole (FIDA). A travers ce projet, l'ONG forme les diffuseurs tout en travaillant avec des groupes d'auditrices qui recueillent les points de vue et les partages d'expérience des femmes dans les communautés afin d'en faire des programmes radiophoniques. L'objectif est de favoriser le sentiment d'autonomisation et de confiance en soi chez les participantes.

Un simple téléphone et un peu de technologie en arrière-plan suffisent à une communauté pour prendre part au programme. Lors de rendez-vous hebdomadaires, les auditrices se rassemblent pour écouter ensemble l'émission, puis échangent autour du sujet abordé avant de préparer une réponse commune. Ensuite, en composant un numéro spécial et en y laissant un appel manqué gratuit, le groupe reçoit immédiatement un appel en retour qui leur permet de faire part de ses réflexions en laissant un message sur répondeur. Les voix sont alors automatiquement enregistrées sur la plateforme Uliza, depuis laquelle les diffuseurs peuvent facilement télécharger les fichiers audio et les utiliser pour préparer leurs émissions.

Hiwot Tirfneh coordonne un groupe d’auditrices radio de sa communauté en Ethiopie qui se réunit régulièrement pour écouter les programmes diffusés sur la station de Dimtsi Weyane Tigray. Elles ont eu l'occasion de raconter les problèmes qu'elles rencontraient à cause du manque de précipitations. Peu de temps après, la radio diffusait une émission ayant pour thème la récupération de l'eau. Ces informations, à propos d'un sujet que la communauté ne maîtrisait pas, ont été d'un grand secours. « Nous avons compris l'importance de sauvegarder la moindre goutte de pluie. J'applique désormais ces techniques et j'obtiens de bons résultats. Nous voyons clairement une différence entre les récoltes ayant bénéficié de ces méthodes et les autres », explique Hiwot Tirfneh, qui pratique une rotation des cultures céréalières sur son champ. Avant d'utiliser cette méthode, elle récoltait environ 200 kg de céréales lors des périodes de pluies rares. Depuis qu’elle a adopté les techniques de récupération de l’eau, elle obtient des récoltes allant jusqu’à 500 kg, même lors des cycles de sécheresse intense et prolongée.

FRI privilégie cette approche sensible au genre dans nombre de ses projets, pour lesquels les stations de radio collaborent généralement avec des groupes allant jusqu’à 10 auditrices. En ce qui concerne Her Voice on Air, FRI a travaillé en partenariat avec 13 stations dont les émissions ont touché plus de 8,1 millions d’auditeurs, dont 134 groupes communautaires comptant plus de 2 300 membres.

Conclusion

Exception faite des amis et de la famille, la radio reste globalement pour les agriculteurs le canal le plus répandu d'information agricole. Selon les estimations, plus de 80 % des populations subsahariennes ont accès à une radio et l’utilisent régulièrement. Même en dehors de la région, ce média attire des auditeurs fidèles et les podcasts connaissent actuellement un important succès Ainsi, malgré la prolifération des nouveaux canaux de diffusion de l'information, la radio et l’audio conservent une place importante dans nos vies – et FRI est convaincue qu’il en sera toujours ainsi.

Encore mieux, avec l'avènement du numérique, la radio offre une portée et des possibilités élargies, notamment grâce aux outils et applications qui recueillent des données de réalité de terrain. Cette information permet dorénavant de créer des contenus ciblés qui s'adaptent aux besoins de communautés et d’individus spécifiques. FRI a fait siens les Principes de développement numérique et explore les nouvelles opportunités (services de conseil basés sur les données, intégration de visuels via les outils mobiles, apprentissage automatique et usage de l’intelligence artificielle pour l’interprétation des données) pour mettre en place des circuits de commentaires fermés et une programmation sensible au genre. Par ailleurs, FRI étudie de nouveaux modèles commerciaux afin de garantir la pérennité de son écosystème. Les progrès technologiques, couplés à la portée de la radio et sa place dans notre quotidien, présagent un avenir passionnant, tant pour les stations que pour les auditeurs.

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Le CTA se donne pour mission de faire avancer la sécurité alimentaire, la résilience et la croissance économique inclusive dans les pays ACP par le biais d’innovations dans l’agriculture durable. Tout au long de ces 10 dernières années, le CTA a joué un rôle dans l’identification des innovations technologiques de pointe, dans la promotion de la culture et des compétences numériques ainsi que dans la formation et le renforcement des capacités des acteurs du secteur agricole à innover et utiliser des solutions d’agriculture numérique.

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