Le changement climatique représente l'un des grands enjeux de notre siècle. Le défi est immense mais des solutions existent. Dans cet article, le Dr Oluyede Ajayi et Mariam Kadzamira détaillent comment le CTA a couplé l'assurance basée sur un indice climatique à d'autres services afin de renforcer la résilience de 140 000 familles de petits exploitants en Afrique australe.
L’assurance basée sur un indice climatique constitue l’un des piliers du projet phare du CTA « Déployer à plus grande échelle des solutions d’agriculture intelligente face au climat pour les agriculteurs et les éleveurs d’Afrique australe », lancé en 2017. L'objectif est d'aider 140 000 ménages de petits exploitants impliqués dans les filières de l'élevage et du maïs au Malawi, en Zambie et au Zimbabwe. Comment ? En renforçant leur sécurité alimentaire et leur niveau de vie global grâce à des solutions climato-intelligentes innovantes, et notamment les dispositifs d'assurance. Une gamme de services complète a été imaginée : en plus de l'assurance, les agriculteurs peuvent ainsi avoir accès à des semences de maïs résistantes à la sécheresse, à des informations météorologiques précises et à des options de diversification des moyens de subsistance.
Les petits exploitants des zones rurales sont généralement délaissés par les compagnies d'assurance car ils ne représentent pas une clientèle « rentable ». Dans le même temps, ils manquent de capacités d'adaptation et sont donc particulièrement vulnérables aux aléas climatiques. L'assurance indicielle représente une solution. Elle fait basculer le risque du côté des assureurs qui versent une indemnité aux agriculteurs en cas de pertes dues à un événement météorologique. Le projet du CTA a défini le total des précipitations annuelles comme indice de son assurance. Ainsi, si une sécheresse – ou une longue période sèche – impacte leur production, les agriculteurs sont indemnisés. Ils peuvent dès lors acheter des intrants, et notamment des semences, afin de replanter et de maintenir leur activité. Ce système renforce leurs capacités d'adaptation et leur résilience face au changement climatique.
Le projet s'est beaucoup reposé sur la téléphonie mobile. C'est par ce biais que les agriculteurs peuvent souscrire une assurance et s'abonner aux services associés. En avril 2018, le programme a fait un grand pas en adoptant l’USSD. Cette fonctionnalité, qui ne requiert pas de connexion internet, facilite grandement l’accès des agriculteurs vivant dans des zones reculées. Les téléphones portables servent également à l'enregistrement numérique et au profilage des exploitants. Des agents de vulgarisation, agents d'assurance ou collaborateurs partenaires effectuent ce travail. Enfin, le mobile est utilisé pour fournir des conseils agricoles et des services de vulgarisation sur les problématiques liées à la météo.
Partenariats et services personnalisés
Dès le départ, des parties prenantes clés ont été consultées afin d'éviter toute dépendance vis-à-vis des financeurs et assurer la viabilité du projet. Il a donc été articulé autour de partenariats entre des associations paysannes, des acteurs du secteur privé, des organisations de développement, des instituts du savoir et le secteur public. Ensuite, une stratégie reposant sur trois piliers a été imaginée pour promouvoir l'assurance indicielle :
- Pour favoriser l’implication d’acteurs clés du secteur (compagnies d’assurance, entreprises semencières et opérateurs de téléphonie mobile), il a d'abord fallu évaluer la propension des agriculteurs à souscrire et payer pour ces assurances, ainsi que celle du secteur privé et de l’industrie à développer des produits d’assurance agricole adaptés aux petits exploitants.
- Des dispositifs d’assistance technique et de soutien au renforcement des capacités ont également été déployés à travers des programmes associant partenaires locaux et pouvoirs publics, en vue de toucher plus de bénéficiaires.
- Enfin, le CTA a appuyé l'intégration de produits d’assurance taillés pour les petits exploitants au sein d'offres groupées. Ces services incluent, entre autres, des assurances obsèques, l’affiliation à des associations paysannes, des prévisions météorologiques et des services de vulgarisation.
Différentes approches et modèles d'affaires ont été testés afin de démocratiser l'assurance basée sur un indice climatique dans les trois pays cibles.
Zambie
En Zambie, le consortium chargé de la mise en œuvre se compose d'un institut du savoir (Zambian Open University), d'une compagnie d'assurance (Professional Insurance Company of Zambia) et d'une organisation de développement rural (Musika Development Initiative). Les données sont fournies par le Service national des informations agricoles, un département spécialisé du ministère de l’Agriculture et de l’élevage qui soutient les services de vulgarisation à travers la diffusion d’informations agricoles.
Tous les petits exploitants éligibles au programme de subvention des intrants bénéficient d'une aide financière pour accéder aux produits d'assurance basée sur un indice climatique, dont les tarifs sont peu élevés. Une formation vient en complément afin de s'assurer que les agriculteurs ont bien compris le principe et les avantages de l'assurance indicielle.
Malawi
Au Malawi voisin, l’Association nationale des petits exploitants du Malawi collabore avec le Service météorologique du Malawi d'un côté, et le Département des services de vulgarisation agricole de l'autre, pour travailler respectivement sur les informations météorologiques et les messages de vulgarisation. Un produit d'assurance basée sur un indice climatique pensé pour les petits exploitants est actuellement en cours de développement. Il prend pour base une étude de référence visant à déterminer la disposition des agriculteurs à payer pour une telle assurance, sans toutefois oublier la dimension économique et le retour sur investissement.
Zimbabwe
L'Union des agriculteurs du Zimbabwe (ZFU, Zimbabwe Farmers Union) a accès aux données satellitaires de l’entreprise internationale de services d’information climatique aWhere. Grâce à ces précieuses ressources, Econet Wireless – une entreprise du secteur privé qui est un partenaire clé du projet dans ce pays – propose le « combo » EcoFarmer. Ce service innovant, facturé 1 US$ par mois, combine des alertes météorologiques, des conseils agricoles et une assurance indicielle permettant aux agriculteurs d’assurer leurs récoltes contre les risques de précipitations excessives ou de sécheresse.
Les enquêtes de terrain commandées au début du projet ont révélé que la connaissance du concept d'assurance basée sur un indice climatique ne se traduisait pas par un recours systématique au service. En effet, parmi les 60 % d'agriculteurs au courant de son existence, seuls 16 % avaient passé le cap de la souscription. La ZFU est malgré tout parvenue à améliorer le taux d'adoption de l'assurance indicielle en l'associant à d'autres services comme des assurances vie/obsèques ou des conseils agricoles.
Le rôle clé des agents de vulgarisation
Les données brutes, seules, ne suffisent pas. Beaucoup d'agriculteurs sont, en effet, incapables d'interpréter les informations relatives aux prévisions météorologiques qu'ils reçoivent sur leur téléphone portable. Ils ont donc besoin d'un soutien pour utiliser efficacement ces ressources. Cet appui passe par les agents de vulgarisation impliqués dans le projet. En souscrivant les mêmes services (assurance et accès au portail d'information numérique) que les petits exploitants, ils peuvent ainsi mieux les conseiller et répondre précisément à leurs demandes. Les données jouent ainsi le rôle de « boîte à outils » pour le personnel de terrain. « Les agents de vulgarisation ont un rôle primordial car ils aident les agriculteurs à mieux interpréter les données météorologiques. Une fois enregistrés, même les petits exploitants qui n’ont pas accès à la plateforme peuvent bénéficier des conseils prodigués quotidiennement par ces agents », précise Prince Kuipa, économiste à la ZFU.
Assurer la pérennité du projet
Le projet repose sur des partenariats innovants et solides, qui incluent des associations paysannes, le secteur privé et des gouvernements. La mise en place de protocoles d'entente et l'inclusion de solutions climato-intelligentes – dont les produits d'assurance basée sur un indice climatique – dans les stratégies à long terme des partenaires ont contribué à renforcer ces liens. Par ailleurs, les objectifs des différents acteurs sont bien alignés : cela favorise naturellement la continuité des activités une fois le projet terminé.
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