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Les super plateformes de services numériques : entre opportunités et défis à relever

Le projet MUIIS du CTA est actuellement en train d’évoluer vers un modèle de super plateforme avec des services de paiement, de crédit et d’accès aux marchés.

© CTA

Il existe aujourd'hui des solutions regroupant plusieurs services numériques capables de transformer l'agriculture en profondeur. De séduisantes perspectives s'ouvrent aux petits exploitants, mais attention cependant. Ces nouvelles « super plateformes » sont en effet complexes et leurs impacts doivent être soigneusement évalués avant d'envisager une diffusion à grande échelle en Afrique.

On appelle super plateforme une solution numérique tout-en-un pour l'agriculture qui regroupe différents services destinés aux agriculteurs ou à d'autres petits intermédiaires de la chaîne de valeur. Elle intègre généralement des services financiers, du conseil sur les problématiques numériques et du soutien pour accéder aux marchés, entre autres. Ces offres ne sont toutefois pas juxtaposées. Au contraire, l'objectif de la super plateforme consiste à proposer des services qui se renforcent mutuellement et créent, ensemble, une véritable valeur ajoutée.

Cette approche intégrée permet de limiter le recours aux intermédiaires. En bénéficiant d'un accès direct aux marchés (pour les intrants et les produits agricoles), comme à l'écosystème plus large qui comprend notamment la finance et le conseil, les agriculteurs peuvent générer de la valeur économique immédiate.

A l'avenir, les super plateformes qui sauront concevoir des offres intelligentes, bâties sur des services complémentaires et désintermédiés, seront capables :

  • d'attirer plus d'agriculteurs ;
  • d'améliorer l'efficacité opérationnelle ;
  • de renforcer la confiance avec les agriculteurs, et donc leur fidélité ;
  • d'établir des processus de contrôle qualité tout au long de la chaîne de valeur des intrants et des produits agricoles ;
  • de fournir des données et des enseignements précieux.

En quête de modèles d'affaires durables

En Ouganda, le projet MUIIS (Market-led user-owned ICT4Ag-enabled information service, Améliorer l’autosuffisance des agriculteurs grâce aux services d'informations TIC4Ag axés vers le marché et appartenant aux utilisateurs), financé par le gouvernement néerlandais et coordonné par le CTA, mêlait initialement des services de conseils sur l'agriculture de précision et d'assurance récolte. Il est actuellement en train d'évoluer vers un modèle de super plateforme qui proposera, en plus, des services de paiement, de crédit et d'accès aux marchés.

Trouver des parties prenantes solides représente toutefois un vrai défi en raison de la difficulté à attirer des partenaires issus du secteur privé. Dans l'idéal, les gouvernements devraient être la pierre angulaire du processus, en créant l'infrastructure de base des données, l'intergiciel. Les partenaires issus du privé, dont les banques et les négociants d'intrants, viendraient dans un second temps afin d'appuyer les pouvoirs publics dans la construction de la plateforme. Enfin, les différents fournisseurs intégreraient conjointement un système capable de fournir des services multiples.

Un exemple illustre la pertinence de cette stratégie. Les banques, pour accorder des prêts aux agriculteurs, doivent au préalable bien les connaître. Comment faire ? En se référant notamment aux données en possession du gouvernement – en particulier les cartes d'identité numériques des exploitants – qui représentent les sources d'information les plus fiables. Ainsi, collaborer avec les pouvoirs publics devient une clé pour les banques afin de fournir de meilleurs services aux agriculteurs. Les organismes financiers ne sont pas les seuls concernés. En effet, ces données peuvent également être utiles aux opérateurs mobiles, aux agrégateurs ou à tout autre structure souhaitant établir des relations avec les agriculteurs et réaliser des opérations dans un contexte de confiance renforcé.

Si les gouvernements sont essentiels pour fournir l'infrastructure de base des super plateformes, ils ne peuvent cependant pas tout faire. Le secteur privé doit prendre le relais et a un rôle important à jouer dans l'élaboration d'un modèle d'affaire durable et intégré, condition indispensable au bon fonctionnement de la plateforme. Une question clé à se poser est : « qui paiera pour les services fournis aux utilisateurs finaux ? ». Les super plateformes seront viables seulement si elles peuvent définir qui achètera leurs services, que ce soit des petits exploitants ou des entreprises.

Un modèle encore inadapté au continent africain ?

Les super plateformes sont des modèles novateurs et présentant de nombreux avantages. Toutefois, je demeure sceptique pour le moment. En effet, je considère que les défis à relever surpassent toujours les opportunités pour envisager un déploiement en Afrique. Les jeunes entrepreneurs impliqués dans le numérique, avec lesquels nous travaillons, n'ont pas encore les moyens de bâtir de telles plateformes. Actuellement, promouvoir ce modèle, c'est mettre en péril leurs activités. Par exemple, si un organisme « puissant » comme un gouvernement ou un opérateur de réseau mobile venait à investir dans une super plateforme sans tenir compte des jeunes entrepreneurs, ceux-ci se retrouveraient en faillite du jour au lendemain. Sans un cadre précis pour établir les conditions de partenariat, les startups risquent de se retrouver rapidement en danger. Il faut faire en sorte que l'investissement des « puissants » dans les super plateformes s'inscrive dans une démarche de développement. C'est un vrai défi car leur intérêt réside – la plupart du temps – dans la recherche de profit et non dans le développement.

Il est très difficile de mettre en place, coordonner et assurer la viabilité d'une super plateforme. Des plateformes plus simples et plus ciblées pourraient donc se révéler plus efficaces que des solutions qui promettent de répondre à tout. Parallèlement, nous constatons un très faible taux de survie pour les structures proposant un service unique. Dès lors, il sera intéressant de suivre la progression de ces super plateformes complexes. A mon avis, peu d'entre elles résisteront à travers le continent.

Nous devons donc attendre de voir comment ces plateformes évoluent et évaluer leur impact avant de les promouvoir. Ce concept doit d'abord faire ses preuves dans différents contextes géographiques avant d’être diffusé à plus large échelle.

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Le changement climatique représente l'un des grands enjeux de notre siècle. Le défi est immense mais des solutions existent. Dans cet article, le Dr Oluyede Ajayi et Mariam Kadzamira détaillent comment le CTA a couplé l'assurance basée sur un indice climatique à d'autres services afin de renforcer la résilience de 140 000 familles de petits exploitants en Afrique australe.

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