Keithlin Caroo est la fondatrice de l’association à but non lucratif Helen’s Daughters, basée à Sainte-Lucie. Le projet a vu le jour en 2006 après avoir été récompensé par le programme Empower Women Champions for Change de l’Organisation des Nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des Femmes (ou ONU Femmes).
Helen’s Daughters est une entreprise à vocation sociale dont l’objectif est de mettre directement en relation des petites productrices et l’industrie hôtelière. Elle est née de la conviction qu’il fallait aider ces femmes habitant des zones rurales à utiliser des techniques agricoles adaptatives, renforcer leurs capacités et améliorer leur accès aux marchés. Longtemps connue comme la « capitale de la banane » des Caraïbes, Sainte-Lucie a été touchée de plein fouet par l’effondrement du prix de son « or vert » au tournant du 21e siècle. Cette crise économique a fortement impacté tous les producteurs du pays, quel que soit leur genre. Toutefois, les initiatives façonnées pour relancer le marché par la suite n’ont impliqué que les hommes. En effet, l’agriculture étant largement perçue comme une « affaire d’hommes », les femmes ont été laissées de côté. Cette représentation est pourtant fausse. Par exemple, sur le marché de Castries (la capitale du pays et le plus grand marché de l’île), 90% des vendeurs sont des femmes et la plupart d’entre elles sont également productrices. Cette perception erronée a tenu les agricultrices à l’écart des marchés et elles doivent parfois vendre leurs produits sous un nom d’emprunt – celui de leur époux ou d’un parent de sexe masculin – car elles ne disposent pas des certifications nécessaires.
Ces inégalités entre sexes ne concernent pas uniquement l’agriculture mais toute la population active de l’île. Le taux de chômage des femmes (24,7 %) est ainsi supérieur à celui des hommes (20,1%). Par ailleurs, les femmes, dont beaucoup travaillent dans le secteur agricole, possèdent les deux tiers des petites entreprises à Sainte-Lucie.
Helen’s Daughters souhaite appuyer l’agriculture numérique tout en donnant aux femmes des régions rurales les moyens d’améliorer le système agroalimentaire et touristique. Dans cette optique, l’association coopère avec l’Université de la Colombie-Britannique (UBC, The University of British Columbia) pour fournir aux agricultrices des capteurs de sol qui recueillent des données sur leurs parcelles (ensoleillement, humidité du sol, température au sol et en surface). Ces informations sont consultables sur un tableau de bord en ligne qui permet à Helen’s Daughters d’effectuer un suivi à distance et de délivrer des conseils agronomiques personnalisés, traduits en langue créole. Ces recommandations sont transmises grâce à un système vocal interactif (SVI) accessible à partir d’un smartphone ou d’un téléphone mobile classique. Les premières agricultrices bénéficiaires de la solution suivent en outre une formation qui leur permettra d’analyser elles-mêmes les données recueillies et de les utiliser directement pour améliorer leur activité.
En parallèle, Helen’s Daughters travaille sur d’autres projets comme la création d’un site e-commerce qui permettra aux hôteliers de s’approvisionner facilement en produits locaux sans passer par différents intermédiaires. Pour les agriculteurs, il est primordial d’avoir accès au marché hôtelier, l’industrie touristique étant en plein essor à Sainte-Lucie avec 1,1 million de visiteurs en 2017. Il y a cependant un paradoxe : la plupart des fruits et légumes sont aujourd’hui importés et seuls 42 % d’entre eux seraient d’origine locale selon les statistiques. L’île doit ainsi faire face à une lourde facture d’importation (360 millions $ en produits alimentaires, soit près de 314 millions €), certains hôtels dépensent jusqu’à 15 millions $ alors que la plupart de ces produits pourraient être cultivés sur place et achetés à un prix nettement inférieur.
Grâce à Helen’s Daughters, les femmes peuvent non seulement avoir accès à l’agriculture numérique, mais elles deviennent aussi les étendards de l’agriculture moderne à Sainte-Lucie. Cette évolution est importante et contribuera à changer la perception du secteur qui repose encore beaucoup sur le genre. De plus, cette initiative fait sens dans un pays comme Sainte-Lucie qui veut faire du tourisme le moteur de son économie tout en avançant dans une logique de développement durable. Le projet célèbre le mariage de la tradition et du moderne, dans l’agriculture et le tourisme, au bénéfice des deux secteurs. Il apporte également une solution au problème général de l’approvisionnement en produits alimentaires auprès des agriculteurs locaux, tout en mettant l’accent sur le groupe longtemps négligé des femmes.
L’accès des femmes des zones rurales aux TIC (technologies de l’information et de la communication) est l’une des clés pour espérer réduire les inégalités dans le secteur agricole de l’île et, ainsi, ouvrir des perspectives inespérées pour Sainte-Lucie.
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